Contribution : Amira Cohen, RN, PhD, superviseuse clinique, cheffe de l’unité de soins palliatifs au Shamir Medical Center, Israël
Le personnel de l'unité de soins palliatifs du Centre médical Shamir offre des consultations aux patients en oncologie et en fin de vie. Il dessert en outre l'aile pédiatrique et maternelle, où il soutient les familles confrontées à la mort fœtale intra-utérine. L'équipe se concentre sur l'évaluation et le traitement de la douleur ainsi que d'autres facteurs physiques, psycho-sociaux et spirituels susceptibles d'améliorer la qualité de vie des patients et des familles. Elle met en œuvre la Loi sur le patient en fin de vie et apporte son soutien aux autres membres du personnel.
Au cours de l'année écoulée, les patients de la COVID-19 et leurs familles ont eux aussi bénéficié des soins de l'équipe de l'unité de soins palliatifs. Outre les difficultés rencontrées par les patients en fin de vie, les patients souffrant de la COVID-19 sont confrontés à des problèmes émotionnels tels que la solitude et la culpabilité concernant la transmission du virus. Certains patients et membres des familles rejettent en effet sur eux-mêmes, sur des collègues, sur d’autres fidèles à la synagogue, voire sur la foule, la responsabilité de la transmission de la maladie à d'autres membres de leur famille ou leur décès. Le poids de la culpabilité peut être lourd à porter pour le patient et pour sa famille, surtout si la maladie a entraîné la perte d'un être cher.
Nathan (prénom fictif), 85 ans, patient en oncologie, n'avait pas quitté son domicile ni vu sa famille ou ses amis au cours de l'année écoulée. Quelques jours après sa dernière séance de chimiothérapie, il a été pris de fièvre : il s'est avéré qu'il avait contracté la COVID-19 et infecté sa femme. Celle-ci a été hospitalisée dans un état grave et, quelques jours plus tard, Nathan a lui aussi été admis, dans un autre service. Sa femme étant par la suite décédée, Nathan s’est retrouvé anéanti. Après que le personnel lui a annoncé la tragédie, l'infirmière Cohen, cheffe de l'unité de soins palliatifs, est allée parler à Nathan. Il lui a dit avoir des flash-backs. Lorsque sa femme a été emmenée à l'hôpital, il ne lui avait pas dit au revoir. Amira ayant demandé à Nathan comment il aurait souhaité dire au revoir à sa femme, il a répondu : « Lui donner un baiser sur le front et lui murmurer à l'oreille combien je l'aime ». Nathan a raconté ses rêves dans lesquels il voyait sa femme debout dans la cuisine, souriant en préparant les plats préférés de chaque membre de la famille. Amira lui a demandé de raconter une anecdote sur leur couple. Pendant les soixante années de leur mariage, Nathan et sa femme se retrouvaient chaque soir dans la cuisine pendant une demi-heure pour prendre un café et discuter. Il a raconté leur rencontre, leur relation, leurs sentiments mutuels, leurs souvenirs et le sentiment de sécurité que leur amour leur procurait.
Mais Nathan ressentait un fort sentiment de culpabilité pour avoir infecté sa femme à son insu. « Le sentiment de culpabilité est si fort qu'il ne sert à rien de donner des explications, des réponses ou des rationalisations. Le chagrin et la culpabilité sont intimement liés et indissociables », explique Amira. Lorsqu'elle lui a demandé s'il avait besoin d'aide pour gérer le chaos de ses sentiments, Nathan a répondu : « Je veux continuer à parler de ma culpabilité jusqu'à ce que je sente avoir au moins vidé cette partie de moi ».
Le jour de sa sortie de l’hôpital, Nathan a parlé à Amira de ce qu'il ressentirait en rentrant chez lui – « obscurité et vide dans mon cœur, murs silencieux ». Il a parlé de ses sentiments mêlés de colère, de solitude et d'insécurité.
« Notre mission en tant qu'infirmières en général, et en soins palliatifs en particulier, est d'être présentes, de contenir et surtout d'écouter les sentiments », explique Amira. « Être là pour entendre qu'il n'y a pas de justice dans ce monde et que la nature est dure. Amener le patient à comprendre que survivre signifie honorer la mémoire de l'être cher et poursuivre son chemin. Trouver la force en nous, être soutenu par nos proches et savoir que le processus prendra du temps – alors seulement nous saurons que cela valait la peine d’en passer par là, pour nos enfants, pour nos petits-enfants mais surtout pour nous-mêmes. »